Les glissements de tâches se sont installés durablement dans les Ehpad en toute illégalité

capture-decran-2016-12-02-a-16-10-06Publié le 12.04.2018 par Lydie Watremetz
Article Hospimedia

Glissement de tâches en Ehpad, le phénomène n’est pas nouveau mais il semble exacerbé par les récents problèmes d’effectifs que connaissent les établissements. Si les actes concernés ne relevaient pas de professions réglementées, le phénomène pourrait être louable. Sauf que l’exercice est illégal. Alors pourquoi cette tolérance ?

Derrières les revendications d’augmentation des effectifs et de meilleure qualité de vie au travail en Ehpad des professionnels, qui ont manifesté en janvier et mars dernier, se cache clairement la problématique du glissement de tâches. Dans la première partie de leur rapport sur les établissements prenant en charge des personnes âgées dépendantes, les députées Monique Iborra (LREM, Haute-Garonne) et Caroline Fiat (LFI, Meurthe-et-Moselle) relèvent aussi ce fait. Elles soulignent qu’il s’agit même d’un constat partagé par la majorité des personnes et organismes qu’elles ont audités. « L’absentéisme conjugué aux difficultés de recrutement conduit à des phénomènes importants de glissements de tâches : les missions du médecin coordonnateur sont effectuées par les infirmiers, celles des infirmiers par les aides-soignants, celles des aides-soignants par les auxiliaires de vie sociale », écrivent-elles. Le constat est sans appel et connu donc de tous.

Des faisant fonction

Ajoutons que cela n’a rien de nouveau et est devenu au fil des années incontournable, les tutelles fermant parfois les yeux. Pour compenser des recrutements difficiles de personnels notamment aides-soignants, quelques établissements procèdent à l’embauche de faisant fonction. Une récente analyse de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), datant de septembre 2016, sur les conditions de travail dans les Ehpad soulignait une vraie ambivalence. « D’un côté, ils font l’objet de critiques sous l’angle de la qualité du service rendu à l’usager : le diplôme est ainsi présenté comme le gage d’une compétence dont seraient dépourvus les personnels non diplômés, y compris les plus expérimentés. D’un autre côté, dans d’autres établissements, les glissements de tâches sont revendiqués comme un partage des tâches entre personnels, gage de solidarité et d’entraide ». Dans ce dernier cas, le glissement de tâches serait même assimilé à quelque chose de valorisant pour le professionnel, le montant en compétences, sans que cela soit toutefois reconnu officiellement et le tout restant du ressort du non-dit.

Omerta sur le phénomène

Première conséquence, alors que l’existence des glissements de tâches en établissement pour personnes âgées est bien connu, le fait n’est pas pour autant quantifié, même si plusieurs rapports — parlementaires ou autres — l’évoquent. Interrogé par Hospimedia sur le lien entre pratiques et glissement de tâches, Germain Decroix, juriste expert pour la mutuelle d’assurance des professionnels de santé MACSF, souligne qu’un « certain nombre de professionnels s’y sont habitués et probablement ne les voient plus. À force de réaliser de actes pour lesquels ils ne sont pas habilités, ils n’ont plus conscience que cela pose problème. » Et c’est là, toute la difficulté. Pour trancher sur ce sujet, il reste le droit. Et ce dernier devrait être intraitable. Le glissement de tâches de professions réglementées constitue en effet un exercice illégal.

Un exercice illégal condamnable

Germain Decroix relève toutefois que la réglementation en vigueur peut prêter à confusion. Il indique que « les textes de compétences réglementaires des aides-soignants non seulement sont assez anciens, datant de 2005 mais ils leur confèrent des missions plutôt restreintes. Confrontés sur le terrain à l’insuffisance du nombre d’infirmières voire à leur absence à certains moments de la journée comme la nuit ou de la semaine comme le week-end, certains actes se retrouvent ipso facto réalisés par des aides-soignants. » À cela s’ajoute l’absence de certaines limites. Aujourd’hui, il n’y a aucune obligation d’avoir une infirmière 24 heures sur 24 en Ehpad. Au regard de ces éléments, on comprend donc mieux cette relative tolérance autour des glissements de tâches.

Mais en cas de plaintes des patients, le juriste assure que si le juge saisi de l’affaire découvre que le professionnel est hors la loi, il sera intraitable, n’hésitant pas à condamner le professionnel concerné et son entourage jusqu’au directeur de l’établissement qui aura laissé faire… Par ailleurs, il rappelle que les garanties que les assureurs accordent à leurs sociétaires sont conditionnées à la légalité de l’exercice. Autre précision, les protocoles de services n’ont aucune valeur juridique.

Des solutions ?

Germain Decroix estime que la seule façon réglementaire actuelle consiste à conclure des protocoles de coopération sanitaire selon l’article 51 de la loi HPST de 2009. Mais cela nécessite toute une procédure jusqu’à l’agrément de la Haute Autorité de santé (HAS). Bémol important, la délégation reste expérimentale et temporaire et devra être encadrée. Dans son récent rapport d’information à la commission des affaires sociales du Sénat, Bernard Bonne (LR, Loire) propose de son côté qu’une habilitation spécifique soit délivrée aux soignants travaillant en Ehpad, afin qu’ils puissent pratiquer, par délégation, des actes infirmiers, notamment l’aide à la prise de médicaments. D’autres voix suggèrent de réviser les référentiels d’actes. Dans tous les cas, les glissements de tâches ne peuvent continuer à se développer en l’état.

 

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